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L'intégralité de l'article du journal, le Petit Jacquemart, en date du jeudi 21 mars 1901

DE BOURG DE PEAGE à SAINTE EULALIE

Depuis samedi dernier, la nouvelle ligne de tramways de la Drôme, de Bourg de Péage à Sainte Eulalie est ouverte au public.

Nombreux sont les voyageurs qui ont voulu "étrenner" la ligne ; dimanche, notamment, le mouvement a été considérable ; et cette hâte à profiter des facilités apportées par ce commode moyen de transport est d'un bon augure pour l'avenir.

Désireux de renseigner nos lecteurs, nous avons fait, nous aussi malgré le mauvais temps qui semble vouloir s'éterniser, le parcours de Bourg-de-Péage à la gare terminus.

Disons, tout d'abord, que le matériel affecté au nouveau tronçon par la compagnie de la Drôme, diffère sensiblement de celui que nous sommes habitués à voir rouler sur les autres lignes -- celles de Tain et St Donat, par exemple.

Les wagons, beaucoup moins longs et plus hauts, sont montés directement sur quatre roues au lieu de l'être sur des chariots à deux paires de roues, chacun.

Leur couleur bois est agréable à l'œil ; et, ce qui est plus essentiel, ils sont d'une douceur et d'un confort véritablement exceptionnel dont il convient de louer sans réserves la Compagnie.

Enfin leur poids est beaucoup moins considérable ; il ne dépasse guère 5,000 kil., alors que les autres wagons de la Drôme atteignent, en moyenne, 8 mille kilogs.

Au départ

La plupart de nos concitoyens connaissent la rue ouverte spécialement pour le passage du tram qui, partant de la gare, au fond de la place de Dellay, vient rejoindre, aux Minimes, la route de Pizançon.

Un arrêt permet aux voyageurs de s'embarquer là, si la chose leur plait mieux ou s'ils y trouvent un avantage.

La voie, jusqu'à l'allée du château de Pizançon suit le côté gauche de la route ; elle longe, par conséquent, la rive de l'Isère ; et contemplé du wagon, le panorama de Romans, pour si connu qu'il soit, ne manque pas de charmes, en raison de la vitesse avec laquelle il se déroule à nos yeux.

Même, par cette après-midi pluvieuse, à demi enveloppé dans un léger brouillard qui estompe tout, à courte distance, en des teintes attristantes de grisaille, il est attrayant encore ; et le regard cherche à reconnaître le foyer familial, la promenade favorite, une maison amie…

De Pizançon à St Nazaire

Deuxième arrêt : Pizançon !… Le train s'arrête au centre du village ; une station qui sera joliment fréquentée par les beaux jours ensoleillés. Et les promeneurs, pour se tendre à leur restaurant préféré, n'auront pas grand chemin à suivre : le jardin très fréquenté du "père Brunat" est tout proche ; on l'aperçoit, au passage, avec ses tonnelles sous lesquelles, l'été, retentissent tant de rires, s'échangent tant de joyeuses plaisanteries.

Mais le tram déjà s'est remis en marche ; le voilà, maintenant, qui enfile la descente de Canard. Au bas, après le pont, troisième arrêt : le Papelissier.

Bien qu'obligé de repartir au pied d'une côte, le tram démarre sans effort. Il file, rapide, sur le Martinet, abandonnant, quelques cents mètres avant d'y arriver, la route, pour s'enfoncer dans une tranchée profonde qui semble le conduire tout droit, à l'Isère.

On stoppe ; c'est l'abri de Meymans. A partir de ce point, la ligne côtoie de si près la rivière que, par moment, on s'aperçoit, à pic, ses eaux rendues plus boueuses qu'à l'ordinaire par une semaine d'averses diluviennes. Cela ne manque, ni de pittoresque ni d'intérêt.

Aucun arrêt jusqu'à Lecancière. Pourtant, au lieu dit Les Combes, aboutit un chemin qui dessert le populeux quartier des Thiolets susceptible d'amener, à la nouvelle ligne les jours de marché, surtout, un nombre respectable voyageurs.

Signalé à la bienveillante attention de la Cie.

Le tracé de la voie pour éviter la côte éreintante de l'Ecancière, a été fait d'une manière intelligente ; le regret unanime est qu'il n'ait pas été suivi par les ponts et chaussées.

Deux ou trois cents mètres avant le détour qui précède le pont de Cernes, où commence la rude montée, la ligne oblique à droite et commence à gravir le côteau avec un pente relativement douce pour revenir à la route au sommet, près du pont existant sur le canal de la Bourne.

Un viaduc a été construit pour le passage de la combe de Cernes. Sa différence d'altitude avec la route en contre bas fait apprécier de visu l'avantage du tracé suivi par le tramway.

Celui-ci gravit aisément la pente qui a son maximum atteint trois centimètres par mètre.

Lecancière possède une gare dont M. Orard, cafetier, est le chef et qui, par sa situation est appelée à avoir un trafic important

Simples arrêts aux Fauries, à l'embranchement de la route de la Beaume-d'Hostun, à St-Hilaire-St-Nazaire, c'est-à-dire au débouché du pont qui conduit à la gare de la ligne Valence-Grenoble et que, pour éviter toute confusion, avec la station suivante, nous proposons d'appeler St-Hilaire-St-Nazaire P.L.M.

La voie, dès qu'elle arrive au détour où se montre, soudain -- tableau peu banal, avec un fond de montagnes, digne d'une féerie -- l'aqueduc aux arches gigantesques, enjambant l'agglomération principale de Saint-Nazaire, passe sur la gauche de la route, et longe la côte abrupte au bas de laquelle coule la Bourne.

A Saint-Nazaire

L'établissement du tramway a entraîné une transformation totale de ce village qu'on a littéralement éventré pour l'ouverture d'une splendide avenue qui s'ouvrant après le petit pont voisin de l'hôtel Poudret -- bien connu des amateurs de bonne cuisine et des touristes -- aboutit à l'ancienne route de la Motte.

On a remblayé et nivelé un espace immense. Un pont, de belle allure, a été jeté sur ce sui fut la grande rue -- cette rue se termine en face de l'hôtel Clot -- rendez-vous des gourmets -- au pont de la Bourne, à la sortie de Saint-Nazaire -- et sur le Ruisseau Rouge, ainsi nommé parce qu'il charrie de la terre de cette couleur, les jours d'orage, tel un ruisseau de sang.

Le service vicinal a contribué largement à cette grosse amélioration qui donne une activité profitable à la route de la Motte, délaissée naguère, en raison de son étroitesse invraisemblable dans la traversée de Saint-Nazaire.

Les habitants, sur le pas de leur porte ou sur la place, examinant curieusement le tramway auquel ils ne sont point accoutumés encore. Les gracieuses et accortes "fabricantes", à l'air provoquant, sont au premier rang.

Les braves gendarmes, eux-mêmes, de la cour de leur caserne, regardent ce spectacle nouveau pour tous -- ce qui ne les empêche pas, du reste, d'exécuter entre temps, avec l'ensemble, des exercices de maniement d'armes.

De la gare à l'extrémité de l'avenue, on a vu sur le derrière des maisons très vieilles et très bizarrement construites, qui s'échelonnent contre la montagne et qui présentent un aspect si baroque qu'aucune description ne saurent en donner une idée.

C'est là que s'opére le croisement des trains circulant ensemble, sur la ligne.

Bientôt, le tram de St-Eulalie arrive et nous repartons à nouveau.

Dans les côteaux

Quiconque a connu la route de la Motte-Fanjas, ses coudes brusques, ses rampes incessantes et rapides, peut se rendre compte des difficultés que la Cie de la Drôme a rencontrées pour la construction de la ligne, entre St-Nazaire et Saint-Thomas.

Non seulement elle a triomphé de ces difficultés, la Cie de concert, en maints endroits, avec le service vicinal, mais elle a fait œuvre d'art.

La voie serpente pratiquement et agréablement le long des côteaux pittoresques et boisés, dont l'aspect sera magnifique quand des branches, qui de multiples façons s'entrecroisent, auront reçu leur verte parure du printemps.

Des vallons sont franchis au viaduc de Jalavel, au pont de Malleval.

On se croirait positivement dans un des coins les plus poétiques de la Suisse et, en dépit du ciel sombre et monotone, nous admirons des sites qui, l'été, doivent être ravissants.

Un arrêt bref à la Motte-Fanjas, un autre arrêt à St Thomas ; puis, le tram continue sa course vers St-Jean-en-Royans, tandis que le regard s'attarde sur le panorama qui s'offre à lui de St-Nazaire à l'entrée du Vercors, s'effaçant par degrés dans la brume, confus, presque mystérieux…

La gare de Saint-Jean

Cette gare a été construite, vers le milieu de la montée que bordent les premières maisons de St-Jean, à quelques cent mètres de la route, sur un vaste emplacement qui finit perpendiculairement à cette montée.

Pour y accéder le tram faisant un assez long détour va passer devant les anciennes usines de velours qu'il contourne.

Dix minutes d'arrêt. Pas de buffet. Cela viendra sans doute.

Puis en est-il besoin ? les hôtels sont si réputés à Saint-Jean ! les touristes ne manqueront pas d'y accourir en foule et, à l'hôtel d'Europe notamment, légion seront les visiteurs qui viendront se délecter en d'exquis et succulents repas ou demander à M. Abisset de les conduire à la nouvelle route, à la forêt de Lente, ces véritables merveilles du Royans.

Vers le pont terminus

Nous nous sommes remis en marche. On rejoint, à la sortie de la ville, la route de St Laurent qu'on quitte au commencement de la grande descente pour obliquer à droite, dans la direction des Forges, et faire à travers la combe de Laval, au pied de la montagne, un crochet de plusieurs kilomètres. C'est un des passages les plus intéressants de la ligne.

Le Cholet est franchi qui un pont dont le tablier métallique, porté par les culées seulement, c'est-à-dire non soutenu par des piles, ne mesure pas moins de 55 mètres de longueur. Le torrent écume, semblable à un ruisseau de lait, à une profondeur de 34 mètres -- la hauteur approximative de Jacquemart...

Une longue rampe conduit à St-Laurent, but de promenade et de pantagruéliques agapes, car les amis de la bonne chère, enchantés de l'accueil cordial qu'ils y reçoivent aiment à se réunir à l'hôtel Ferouillet.

En quelques minutes, on est rendu à la station terminus : Saint-Eulalie.

Les Petits-Goulets sont proches ; c'est la porte du Vercors.

Modifications à l'horaire

Aux premiers beaux jours, les touristes amenés par le tram, vont affluer dans nos montagnes. Toutefois, il importe que la Compagnie de la Drôme, et c'est dans son propre intérêt comme dans l'intérêt général, modifie son horaire.

Actuellement, le premier train quitte Bourg de Péage pour Sainte-Eulalie, le matin, à 9h. 17. Cette heure est beaucoup trop tardive. Il faudrait un départ vers 6 heures et demie ou sept heures du matin. On arriverait, ainsi, à Ste-Eulalie vers 9 heures. D'autre part, le dernier départ de Ste-Eulalie pour Bourg-de-Péage se trouve en plein après midi, à 2 h.54. Il conviendrait qu'il soit retardé au moins jusqu'à 7 h.

Ces modifications qui s'imposent permettront de faire l'excursion du Vercors en une journée ; les voyageurs débarquant à St-Hilaire-St-Nazaire, gare du P.L.M. auront à l'aller et au retour, la correspondance avec les trains de la grande ligne ; les déplacements, étant rendus faciles, deviendront plus fréquents et chacun y trouvera son avantage.

On demande, en outre, la création de trains directs entre St-Jean et Valence, avec un prix de transport sensiblement égal à celui du P.L.M. pour le même parcours. Mais tout ne peut s'obtenir à la fois. Cette question viendra plus tard.

La Cie, nous en sommes certain, donnera sous peu aux populations intéressées une première et importante satisfaction par la modification de son horaire ; c'est la réclamation la plus justifiée, la plus pressante ; nous ne doutons pas, qu'à bref, il y sera fait droit.

Nos compliments, en terminant, à la Compagnie des chemins de fer de la Drôme, pour les soins apportés dans la construction de la ligne --- et à son personnel qui s'attache à mériter toutes les sympathies par sa complaisance exceptionnelle et par sa courtoisie.

Albert GERIN Fils

 
[ Bourg de péage / St Eulalie en Royans ]
Copyright © Jean-Yves BERSIO - Déposé le 4 janvier 1999